Cette fois-ci amateurs d'émotions douces, je vous convie à m'accompagner dans un lieu enchanteur et paisible, à quelques encablures de notre Colorado Des Enfers...
Au fil des ans, voyez-vous, votre Pénélope se fait plus sauvage, plus animale, plus misanthrope que jamais... Effet pervers de l'âge direz-vous ? Sagesse d'une solitude cultivée plutôt.
Cependant, comme vous le constaterez bien vite, cette recherche harmonieuse n'est peut-être pas aussi simple qu'il y paraît... Mon île d'Ithaque n'ayant plus les charmes d'autrefois, il est temps de me préoccuper d'un refuge ultime, une sorte d'ermitage où méditer tranquillement. J'ai bien pensé louer à l'année une chambre type Formule 1, mais il est en bordure du périphérique, donc beaucoup trop bruyant pour une éprise de Bach, de littérature, de contemplations diverses et de silence toujours... J'ai su trop tard que quelques grottes étaient encore libres dans les Pyrénées... Des ours mal léchés y ont été lachés récemment, et je ne voudrais pas jouer les trouble-fête...même si en la matière, j'en connais un rayon, tout miel à part, avec un exemplaire à la maison, la fourrure en moins.... (je ne peux même pas espérer en faire une descente de lit un jour...)
En bonne future ermite, je prends donc mon bâton de pélerin, soit un levier à 5 vitesses, entouré d'une carrosserie d'Ibiza vert sapin, qui verra son dixième Noël dans quelques mois, et entreprend de visiter une communauté de reclus volontaires, isolés du monde au fond de leur vallon... Ah ! La belle échappée moyenâgeuse me dis-je ! Enfin vais-je rencontrer d'authentiques philosophes, dans leur bulle de solitude...
Bon, à tout hasard, je frappe chez l'ami Google, histoire de lui faire part de mon projet... Déjà, mi-figue, mi-raisin, je constate dépitée que mes héros ne sont pas fatigués, et vivent même à la page, la preuve, exemple
Qu'à cela ne tienne, il s'agira certainement de quelque novice épris d'informatique, n'ayant pas encore assimilé toutes les règles de sa communauté,et qui par quelque excès de zèle, aura cru bon de mettre en ligne son cadre de vie...
Une chose malgré tout m'interpelle "toutes les visites sont accompagnées par un guide de l'abbaye"... Déjà, en roulant vers mon destin, j'imagine le lourd heurtoir sur la porte massive... Le moine encapuchonné m'accueillir dans un murmure de bienvenue... Et à sa suite découvrir un lieu grandiose dans sa nudité, seulement troublé par le son de quelque cloche appelant le pénitent à la méditation, le frottement de la corde grossière qui ceint la robe de bure, alourdie par les noeuds bousculés à chaque pas le long de sa cuisse, les psalmodies lancinantes ou les chants grégoriens de ses frères spirituels...
Ceci dit, mes pensées au fil des kilomètres, se dévergondent un peu ! La pélerine n'ayant hélas pas fait voeu de régime sec, une substantifique pitance lui fait frétiller les papilles en approchant du but.... Donc, première chose, trouver l'endroit idéal, hors chenilles, pour pique-niquer sans bestioles de tout poils... Il ne faut pas éxagérer, je serai à Assise, passe encore, par solidarité avec Saint François, j'aurais invité quelque fourmi(lière) familière à partager mon miam-miam glou-glou, mais là, bon, ça n'est pas à l'ordre du jour on dira...
Voici donc l'endroit requis pour festoyer ! un champ où déjà d'autres sont en plein repas.... une ombre légère, quelques papillons vite éffarouchés, un corbeau mélodieux croasse en chassant, les premières cigales lancent leur cantique monotone et joyeux dans l'air parfumé... La route pour arriver au fond de ce val sans dormeur serpente, quelques belles échappées m'ont fait entr'apercevoir mon abbaye blottie dans la lavande encore pâle... tout est calme (nonobstant les bestiaux ailés), luxe (n'oublions pas que Gordes, l'orgueilleux site classé est à quelques kilomètres, et draine son cortège de Ferrari rutilantes), et volupté... des sens, interpellés par ce qu'il reste de nature sauvage en ce lieu retiré...
Peu à peu, cependant, une, puis deux, puis un cortège, puis des cars "Travel's Machin", des dizaines d'âmes égarées ont la même idée que moi, semble t'il... J'abandonne petite Ibiza sous le vert ombrage, et sans le bâton de pélerin (le levier de vitesse n'est pas démontable), j'entreprends de continuer ma route, appareil photo en bandoulière en guise de viatique... Imaginez les pensées soucieuses quant à ma recherche d'isolement, lorsque j'arrive devant ça : ouh lààààà !... çà sent son touriste à plein nez çààààà !... me dis-je déconfite...
Effectivement, au détour du chemin, alors que dans le lointain se profilait mon ermitage j'étais bel et bien sur un parking, façon Auchan un samedi.... remarquez, nos moines ont le même succès aux champs que l'autre, les caddies en moins... Donc, toute velléité d'indépendance envolée comme une colombe de la paix un jour de ball-trap, je rejoins mes coreligionnaires d'infortune au pied de l'édifice Près du bâtiment principal, sur votre droite, une billeterie est en place, avec magasin, bonbons-esquimaux-chocolats-glacés-demandez-miko.... La prochaine visite est dans 20 minutes... Organisation béton, mais où sont mes retraités du Silence, mes Cisterciens de St Benoît, eux-mêmes qui vivent dans le dépouillement le plus absolu ? Tout cela n'était-il qu'un leurre ? Je profite de cette attente pour vous montrer quelques aspects extérieurs des bâtiments Les toits sont en lauze, et le clocher qui, à l'origine (1148) était en bois, fût emporté par le mistral à plusieurs reprises, de guerre lasse, nos moines le firent en pierre, question pratique, après dérogation bien sûr, attendu qu'ils n'ont jamais été vraiment maîtres chez eux.... Dommage, gros zoom est resté dans le coffre, j'aurais aimé vous montrer le lézard que vous apercevez peut-être sur la partie ensoleillée du mur en haut à droite. Si, il y est.
Le gentil troupeau auquel je me joins suit docilement une étudiante, guide à ses heures, mes derniers espoirs de jouer un remake du "Nom de la Rose" définitivement éteints, autant se plier servilement à la règle du parfait petit touriste...
Nous entrons ici... En fait, c'est le dortoir de ces messieurs (dormitorium), lesquels, pas fiers, se contentaient de dormir au sol sur des paillasses, tout habillés. L'endroit résonne comme une église et mesure une trentaine de mètres de long. Pour les batailles de polochon en capuchon, ils avaient de la place. L'acoustique favorisait sans doute aussi les vocalises des ronfleurs... ceci dit, ils n'avaient pas beaucoup le temps de dormir, attendu que le dortoir donne direct sur l'église, allez, allez, on ne perd pas de temps... Dès deux heures du matin, branle-bas de combat, premier office... Le soir, dernier office, un suppo et direct au dodo.... Non mais ! Z étaient pas là pour rigoler.... on prie madame, et c'est tout... Aujourd'hui, la règle Cistercienne s'est considérablement assouplie : lever à 4 heures...
Bon, l'église elle-même, je ne vous la montrerai pas...Je n'ai pas osé y prendre la moindre photo. Les photos étaient autorisées dans toute l'abbaye, j'ai tenu à ne jamais employer de flash tout au long de ma visite. Or, le silence le plus absolu nous a été demandé dans l'église elle-même, attendu que les six malheureux (ou bienheureux) moines qui vivent encore ici étaient en pleine adoration donc, recueillis....Il me semble qu'il eût été malvenu de faire retentir les clic-clac des appareils, a fortiori avec les éclairs de flash... Là, je dois dire que quelles que soient ses convictions, on ne peut qu'être impressionnés à la vue de ces six silhouettes dans leur robe de bure blanche, tournés vers l'autel, ne faisant aucun cas des troupeaux de touristes amassés dans leur dos qui les observent, comme des fantômes d'un autre monde.... mais à quoi pensent-ils donc ? ont-ils la faculté de faire ainsi abstraction de tout ce qui les entoure ?
Nous nous glissons furtivement derrière notre guide, qui nous conduit au cloître... Nos hôtes ont pour habitude nous a t-on dit, de s'y ballader... mais pas n'importe comment : à la queue-leu-leu, tête basse en en silence, que font-ils ? mais ils prient bien sûr, attendu qu'ils sont là pour ça. Des roses, une petite fontaine...
Non, ça c'est la vasque....
.........D'autres aspects du cloître, difficile à immortaliser sans la présence de quelque quidam en bermuda, dénaturant la sobriété des lieux...
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Alhambra ?
Dans le cloître, je veux bien être cloîtrée, si tant est que l'on me laisse à disposition tous mes livres, peintures, broderies et laines, avec internet aussi pourquoi pas, histoire d'observer le monde par mon trou de souris....
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Vous offrir cette perspective n'aura pas été simple dans la mesure où sans cesse le va et vient des visiteurs rend la prise de vue hypothétique sans leur présence....
Nous quittons cet endroit magique pour pénétrer dans le chauffoir (le cloître est un peu l'équivalence de l'atrium des maisons romaines, coeur de l'édifice, il dessert toutes les pièces)...
Le chauffoir est un endroit bien particulier. Seule pièce chauffée, comme son nom l'indique, elle servait entre autres à nos moines de scriptorium, où étaient copiés les manuscrits... il faut dire que la Waterman de l'époque, faite d'un amalgame de produits divers, entre autres gomme arabique et plantes choisies, avait la particularité de se solidifier dès que la température était au-dessous des normales saisonnières... C'est une jolie petite pièce voûtée... Bon, là d'accord, j'aurais du faire tomber des têtes, voyez comme tout de suite dès que la présence des hominidés se manifeste l'endroit perd de son charme ?...
Avec un pilier central, une cheminée conique agrémente la pièce, nos braves gens y faisaient brûler des troncs d'arbre entiers qu'ils enfilaient à la verticale ! Le manteau est orné de tablettes de pierre sur lesquelles reposaient nos fameux encriers sensibles au froid....
Comme vous pouvez le constater, les murs ne sont pas en placo plâtre... Leur épaisseur est garante d'une certaine isolation... Ces ouvertures laissent pénétrer une douce lumière comme en témoigne cette vue...
Sur les pierres, des signes et initiales gravés rappellent que les moines se faisaient aider dans la construction par des tailleurs de pierre qui marquaient les blocs pour pouvoir se faire payer à la pièce... Il est émouvant de voir ces marques de tâcherons, visibles un peu partout dans l'abbaye.
Enfin nous finissons notre visite par la salle capitulaire (salle du chapitre), où la communauté se réunit encore aujourd'hui. C'est là que sont prises les décisions, là que la prise officielle d'habit s'effectue, ou aussi qu'est élu le Père Abbé... c'est la seule pièce où il est permis de parler.
Cette pièce est ouverte sur le cloître, son acoustique aussi en serait très étudiée. Déjà qu'ils parlaient peu, autant échanger en Dolby Stereo, tant qu'à faire ! Le Père Abbé s'installait face à la Tarasque, espèce de démon, figure légendaire de la région (cf Tarascon)... dont la face grimaçante est sculptée sur un des piliers du cloître. Ceci afin de l'inciter à ne pas faire l'andouille quand il rendait la justice, attendu que la Tarasque s'occuperait de lui s'il lui prenait l'envie d'avoir la grosse tête et de faire son "cake" auprès des autres. Les "chapitrer", passe encore, leur imposer le port d'un silice, faut pas charrier ! La justice des hommes passe parfois par des méandres d'une logique obscure...
Bien évidemment, je remercie notre petite demoiselle guide, m'excusant d'être la dernière à traîner en retrait de la troupe pour cause de clichés sans âme (qui vive) !
Dehors, le grand air, les cigales, la lavande, tout est immuable sous le soleil... dire que 900 ans ont passés, depuis qu'une poignée de moines est venue se perdre ici ! Comment, se frayant un chemin à la machette jusqu'au fond de ce vallon, auraient-ils pu imaginer, en bâtissant leur abbaye, être un jour la cible de curieux désoeuvrés ?
A tout cela je médite en m'éloignant de ce hâvre de paix..
et sous le couvert de mon arbre m'attend un réconfort pas vraiment spirituel, mais on se console comme on peut après tout...
A l'attention des tricoteuses qui me lisent, j'aurais aimé présenter les six rangs laborieusement commis en quelques jours, hélas, ma tendre Artémis a mis si ce n'est son nez, ses petites pattes là-dedans, tout est tombé des aiguilles, et Pénélope, pour ne pas faillir à sa réputation recommence inlassablement le même ouvrage....
En espérant que ce mini reportage vous ait plu, n'oubliez pas le guide, votre gratification d'un commentaire lui sera d'autant plus précieux qu'elle éprouve toujours, en les découvrant au fond de sa sébile virtuelle,
La même gourmandise à vous lire...